Quand l’IA pousse le monde du travail face à ses contradictions

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J'ai récemment assisté au panel-conférence intitulé "Futur du Travail et IA : Perturbations, Opportunités et Facteur Humain" au HEC à Montréal.

Organisé par Wietske Van Osch, Ph.D., Xavier Parent-Rocheleau et modéré par Pamela Lirio, PhD, le panel a réuni des experts du monde académique, de l’industrie, des startups et des syndicats Manon Poirier, CRHA, Tania Saba, Amanda Arciero et Éric Gingras pour explorer :
✔️ Les perturbations à venir et leur impact sur les professions
✔️ Les compétences essentielles pour s’adapter à l’ère de l’IA
✔️ Les stratégies gagnantes pour les travailleurs et les entreprises
✔️ L’éthique et la gouvernance d’une IA responsable
✔️ Le rôle du leadership dans un monde façonné par l’IA

Les échanges ont révélé un écart saisissant entre les promesses de l'IA et la réalité de son déploiement au Québec.

L'IA comme commodité et ses implications

La conférence a débuté par un constat frappant : l'IA devient rapidement une commodité accessible à tous. Les modèles multi-modaux permettent désormais une hyperpersonnalisation du contenu en fonction des utilisateurs et de leurs retours. Cette évolution technologique promet de transformer radicalement nos façons de travailler.

Pourtant, ce qui ressort clairement des discussions est le fossé d'information qui existe dans les entreprises. Selon plusieurs intervenants, la méfiance des employés constitue un frein majeur à l'adoption de ces technologies. "Les entreprises doivent clairement communiquer leurs intentions derrière l'utilisation de l'IA," a souligné Manon Poirier, "car trop souvent, les employés craignent qu'elle ne soit déployée à des fins de surveillance plutôt que pour améliorer réellement les activités."

Un impact considérable sur l'emploi québécois

Les chiffres présentés sont préoccupants : selon l'Institut du Québec (IDQ), environ 810 000 emplois au Québec seraient vulnérables face à l'arrivée de l'IA, avec une exposition particulièrement forte chez les jeunes travailleurs. Paradoxalement, bien que la majorité des entreprises soient convaincues de l'impact imminent de l'IA, peu prennent des mesures concrètes pour s'y préparer.

Bien souvent, l'adoption de technologie ou nouvelles méthodes ne se sont pas faites par une stratégie descendante des organisations, mais plutôt par les initiatives des utilisateurs eux-mêmes, prenant souvent les entreprises au dépourvu. Il devrait en être de même pour une adoption rapide de l'IA. 

La promesse du temps libéré : mythe ou réalité ?

Une question revient constamment dans les débats : l'IA va-t-elle réellement nous libérer du temps pour des tâches à plus forte valeur ajoutée ? Dans un contexte où l'on évoque fréquemment le manque de productivité au Québec, les panélistes ont exprimé leur scepticisme : "Ne risque-t-on pas simplement d'augmenter la charge de travail plutôt que de libérer du temps ?"

Cette inquiétude soulève une contradiction fondamentale dans le discours sur l'IA au travail. Si l'objectif est d'améliorer la productivité, comment garantir que les gains d'efficacité se traduiront par un meilleur équilibre travail-vie personnelle plutôt que par une intensification des tâches ?

La formation : le maillon faible

Le développement des compétences nécessaires représente sans doute le plus grand défi. Lorsqu'interrogées sur leurs stratégies pour acquérir les talents requis, de nombreuses entreprises répondent simplement qu'elles comptent les recruter sur le marché du travail. "La problématique est là," a fait remarquer de nouveau Manon Poirier, "si on ne développe pas les compétences en interne, on est forcément en pénurie d'expertise."

Un chiffre particulièrement alarmant a été mentionné : 46% des travailleurs québécois n'atteignent pas le niveau 3 de littératie (compréhension des textes complexes). Dans ce contexte, parler de littératie numérique avancée semble prématuré pour une large portion de la main-d'œuvre.

Réduire ou amplifier les inégalités ?

Les réponses ont été nuancées, mais convergent vers un point crucial : sans investissement massif dans la formation, l'IA risque d'aggraver les disparités socio-économiques.

Manon Poirier a mise en lumière que la compétence du futur pour les professionnel.les des ressources humaines sera indéniablement la gestion du changement. Dans un environnement en constante mutation, cette capacité deviendra essentielle.

Leçons du télétravail et transparence

Plusieurs analogies ont été faites avec l'introduction du télétravail massif pendant la pandémie. "On aurait dû en profiter pour repenser l'organisation du travail," a regretté la présidente du CRHA, "et non s'arrêter à déterminer combien de jours en présentiel." Cette réflexion suggère qu'avec l'IA, nous avons l'opportunité de réinventer fondamentalement nos modèles de travail, plutôt que de simplement automatiser l'existant.

La question de la transparence a également été soulevée : faut-il divulguer systématiquement l'utilisation de l'IA dans les productions professionnelles ? Les avis divergent, mais les bonnes pratiques semblent pencher vers une nécessaire transparence.

Financement de la formation : une question cruciale

En conclusion, alors que la loi sur le 1% (obligation pour les entreprises d'investir au moins 1% de leur masse salariale dans la formation) est remise en question par plusieurs entreprises en situation de crise, nous devrions nous inquiéter des moyens disponibles pour former adéquatement nos ressources. Comment pourra-t-on réduire les écarts de compétences si les budgets de formation sont restreints ?

Ce panel-conférence a mis en lumière une vérité essentielle : l'avenir du travail à l'ère de l'IA dépendra moins de la technologie elle-même que de notre capacité collective à accompagner humainement cette transition. Avec une durée de vie des compétences estimée à seulement cinq ans, le défi du "rescaling" (requalification) s'annonce aussi important que celui de l'"upscaling" (développement de nouvelles compétences).

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