Recruteurs, quels sont vos préjugés envers les doctorants?

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PHD

Vous recrutez des doctorants ? Connaissez-vous Adoc ? Plus qu'un cabinet de recrutement spécialisé, Adoc participe aussi à la recherche et au développement de l'évaluation des phD sur le marché du travail. Ils viennent de lancer une grande étude sur les compétences et parcours des doctorants au Canada. Les résultats ont été présentés lors d'une soirée au cours de laquelle j'ai participé au panel de discussions, sur entre autres, les compétences qui caractérisent les doctorants, leur satisfaction quant aux débouchés professionnels, et les différences de perception qui peuvent exister entre les recruteurs et les titulaires de doctorat.  

Panel
De gauche à droite, sur le panel animé par Julie Lambert: Sylvain Baillet, Alexandre Hocquard, Shawn McGuirk, moi même et Sara Mathieu.

J'en ai profité pour discuter du sujet avec Thomas Vignalou, Directeur du bureau de Montréal et & Recruteur de scientifiques:

Thomas, peux-tu te présenter ?

Bonjour Sandrine,

Avec plaisir ! Je viens d’une formation business : j’ai été diplômé d’une Maîtrise en administration des affaires et j’ai aujourd’hui près de 10 ans d’expérience. J’ai occupé différentes positions de gestionnaire d’équipe, de développeur d’affaires et de marketing dans de grands groupes internationaux. J’ai ensuite rejoint un cabinet de conseil en gestion et ressources humaines à Montréal il y a quelques années où j’ai accompagné le CEO à développer son activité et ses équipes. C’était pour moi ma première expérience côté fournisseur de services professionnels en RH (recrutement, formation, coaching et consultation). J’ai ensuite rejoint le cabinet Adoc Talent Management en tant que Consultant principal en recrutement et développement d’affaires. Cette année, j’ai pris la Direction du bureau de Montréal.

Leur vision et mission m’ont tout de suite plu et j’ai senti que ce cabinet avait une vrai différentiation et valeur ajoutée pour les organisations qu’il accompagne. De plus, je suis passionné de nouvelles technologies, de science et d’innovation en général. Me retrouver quotidiennement au plus près de cet écosystème et être partie prenante de projets innovants est très enrichissant et stimulant.

Adoc

Peux-tu nous parler d'Adoc ?

Tout est parti d’une association corporative qui avait pour but de valoriser les titulaires de doctorat. Certaines entreprises en recherche de compétences (mais qui ne connaissaient ni les disciplines scientifiques pouvant leur apporter ces compétences, ni la façon d’évaluer les candidats) ont contacté cette association pour qu’elle les aide à trouver les bons profils. Après quelques réussites, deux PhD, Amandine Bugnicourt et Matthieu Lafon se sont rendu compte qu’il existait un véritable besoin que l’association ne pouvait pas combler. Ils ont donc décidé d’incorporer la firme Adoc Talent Management en 2008 pour faciliter la communication entre les titulaires de doctorat et les recruteurs. Adoc Talent Management est ainsi devenu le premier cabinet spécialisé sur le recrutement de profils titulaires de doctorat / PhDs, scientifiques, ingénieurs et experts techniques, grâce à une triple activité de conseil en recrutement, de formation (à destination des titulaires et des candidats au doctorat, ainsi qu’à destination des universités et des entreprises), et de recherche & développement sur les thématiques du développement et de l’utilisation des compétences.

Ces trois activités fonctionnent en synergie et nous placent en permanence à l’interface entre les candidats, les Universités et les entreprises. Cela permet de nous donner une vision large et concrète des besoins en recrutement actuels, des opportunités de carrière ouvertes à ces profils et de l’évolution du marché de l’emploi. Nous essayons au maximum de partager notre connaissance auprès de la communauté et nous prenons régulièrement la parole dans différents médias pour démystifier le doctorat et faire la lumière sur les compétences que peuvent apporter les PhDs au sein des organisations (exemple d’articles dans Policy Options, University Affairs, le magazine Découvrir de l’Acfas). Cet ancrage dans l’écosystème du doctorat nous positionne comme acteur majeur du domaine de la recherche et de l'innovation et permet de nous donner une crédibilité importante auprès de nos différents partenaires (candidats, recruteurs, universités).

Adoc Talent Management est un cabinet de recrutement atypique : de par notre triple activité de recrutement, recherche et développement et formation. Cette atypicité se retrouve également dans la composition hybride de nos équipes. Adoc compte parmi ses effectifs des PhDs issu·e·s de disciplines variées (sciences de la vie, sciences cognitives, informatique, physique, mathématique, sciences de l’éducation, etc.) ainsi que des professionnels des ressources humaines et des psychologues du travail. Nous sommes donc en mesure de cibler plus facilement et différemment des bassins de candidats potentiels ainsi que d’évaluer les profils identifiés et préqualifiés.

Vous avez publié dernièrement une importante étude, peux-tu nous en décrire les grandes lignes ?

Oui, nous avons publié tout récemment l’étude PhDétectives. Lancée en 2018, cette étude est la plus vaste jamais menée sur les compétences et les parcours professionnels des titulaires de doctorat au Canada. Le projet a pour but de traduire le diplôme en termes de compétences afin de faciliter la rencontre entre titulaires de doctorat et les recruteurs dans un contexte de changement du paysage des débouchés professionnels des titulaires de doctorat. L’idée est d’étudier dans quelle mesure le doctorat est une valeur ajoutée pour les employeurs.

Principaux constats :

● À l’aide d’un référentiel de compétences listant plus de 100 aptitudes, comportements et qualités, nous avons constitué le bassin des compétences que possèdent les titulaires de doctorat au Canada. Celui-ci comprend 38 compétences ≪ centrales ≫ communes à tous les détenteurs de doctorat, quel que soit leur profil, ainsi que des compétences complémentaires propres à certains aspects particuliers du profil doctoral (soit la discipline de recherche, la séniorité et la méthode de financement des études).

● En analysant successivement ce bassin de compétences du point de vue des titulaires de doctorat et des employeurs, nous avons constaté des points de convergence (notamment du côté des compétences centrales comme l’expertise scientifique et technique) et de divergence (p. ex. compétences transférables formalisables, comportements et aptitudes) entre les besoins et attentes des employeurs, d’une part, et les compétences développées par les détenteurs de doctorat, d’autre part.

● En examinant les profils des titulaires de doctorat et des organisations qui les emploient, nous avons mis en lumière les carrières des titulaires de doctorat : emplois dans différents secteurs, dans des établissements publics et privés, ainsi que dans des rôles axés ou non sur la recherche et le développement (R&D).

Voici les faits saillants de l’étude et le rapport complet. Des volets supplémentaires sont à venir pour pousser plus loin la réflexion et les analyses, notamment pour le Québec spécifiquement.

Nous sommes très heureux de la tournure que prend la publication de cette étude. En effet, nous sommes en train de discuter de collaboration scientifique avec plusieurs acteurs important de la R&D et de l’innovation au Québec et à l’échelle canadienne. Notre étude et les données recueillies sont précieuses pour aider les différentes parties prenantes à y voir plus clair et ainsi prendre des décisions réfléchies.

Cette étude est aussi très importante pour nos clients, qui peuvent ainsi se rendre compte de l’apport des titulaires de doctorat dans leurs organisations et avoir une meilleure idée des emplois où ils sont particulièrement intéressants.

Comment évalue-t-on un doctorant ?

L’évaluation se fera vraiment au cas par cas, selon les besoins de nos clients, comme pour n’importe quel autre candidat !

Au niveau des compétences techniques, qui sont souvent très développées, nous faisons passer de courts tests que nous co-développons avec nos clients, cela dans le but de confirmer le sourcing que nous avons pu effectuer. Il est donc important de prendre le temps d’échanger avec le client pour connaître l’objectif de son recrutement ainsi que les tâches prioritaires que la nouvelle recrue aura à effectuer. Nos méthodes de sourcing et d’évaluation sont aussi influencées par le métier de chercheur : nous allons chercher des candidats grâce à leur liste de publications, leurs participations à des conférences, leurs brevets, etc. Nous pouvons ainsi conseiller nos clients sur le bon choix du candidat par rapport à leur problématique scientifique quand ils n’ont pas l’expertise en interne.

Il est également important de bien comprendre les objectifs et les leviers de motivation des candidats. De notre expérience, les titulaires de doctorat peuvent avoir des leviers de motivation un peu différent de ceux des autres profils : ils sont par exemple souvent plus intéressés par les défis scientifiques ou techniques de l’entreprise.

Ensuite, il ne faut pas tout miser sur les savoirs et savoir-faire : les savoir-être, la motivation et le potentiel sont tout aussi déterminants pour une bonne intégration et donc une bonne efficacité !

Les PhDs sont dotés d’un grand nombre de compétences transversales dont ils n’ont pas nécessairement conscience, souvent faute d’avoir pu prendre du recul par rapport à leur expérience dans le milieu académique. De plus, leur environnement professionnel académique, ne perçoit pas certaines compétences comme valorisables auprès des entreprises. Ces compétences mériteraient d’être mieux valorisées, autant dans le milieu universitaire qu’en dehors, et autant auprès des candidats que des recruteurs.

Les compétences comportementales les plus recherchées par les employeurs sont la résolution de problème, la créativité et l’adaptabilité selon une étude récente (ICIMS 2017). Ce sont ces mêmes compétences qui sont particulièrement développées par les PhDs pendant leur projet doctoral, postdoctorat, ou position en R&D dans le privé.

De plus en plus d’entreprises innovantes ne réfléchissent plus en termes de poste mais de parcours de carrière. En effet, les technologies d’aujourd’hui ne seront plus les mêmes que celles de demain tout comme une grande partie des emplois. Les organisations cherchent donc de plus en plus de personnes ayant une grande capacité d’apprentissage et d’adaptation. C’est pourquoi nous regardons également cela durant nos entrevues.

Comment on démystifie les compétences des PhDs ?

Très bonne question.

En effet, nous devons absolument démystifier les PhDs auprès des employeurs : le Conference Board du Canada a mis en lumière l’importance du doctorat pour la prospérité économique, sociale et culturelle du Canada. Dans le contexte d’une économie du savoir en plein changement, ces profils sont plus que jamais nécessaires pour amener les organisations qui les emploient à innover et à résoudre concrètement des problèmes complexes. C’est dans cette perspective que l’on veut continuer de faciliter leur bonne intégration dans toutes les sphères du tissu socio-économique. Les perspectives d’emploi pour les détenteurs de doctorat ne sont plus limitées à la recherche académique, elles évoluent. Le doctorat doit donc être considéré comme une formation avancée en recherche et non pour la recherche, ce qui correspond davantage aux perspectives d’emplois en émergence mises de l’avant par les grandes organisations canadiennes.

Mais effectivement, il y a encore des préjugés pour le moins tenace envers les qualifications et compétences des détenteurs de doctorat et leur apport à la main-d’œuvre non universitaire. On voit que cela rend beaucoup d’employeurs hésitants à embaucher des PhDs (Edge et Munro, 2015). On les imagine trop experts, dans des domaines trop spécialisés, qu’ils manquent de concision lorsqu’ils s’expriment, ou qu’ils n’ont pas le sens des affaires (Dalmont, 2018).

Notre rôle est donc de donner plus de visibilité sur les compétences transférables que possèdent de nombreux titulaires de doctorat, de les présenter non pas comme des experts ultraspécialisés uniquement capables de recherche, mais comme des communicateurs, des gestionnaires de projets, des entrepreneurs, des innovateurs ou des administrateurs.

Il nous faut donc apporter un maximum d’informations aux organisations et employeurs potentiels sur ce que représente concrètement un projet doctoral, qu’au-delà d’un niveau de diplomation, c’est une expérience professionnelle, d’apprentissage en recherche et par la recherche.

Dans l’ensemble, les programmes de doctorat et les compétences transférables que le doctorant a acquis grâce à la recherche semblent plutôt méconnus. Cela s’explique en partie par le fait qu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucune liste officielle des compétences doctorales sanctionnées par les universités, les facultés d’études supérieures, les organismes gouvernementaux subventionnaires, etc., ou alors celles qui existent sont incomplètes. Par définition, la formation doctorale est très variée (selon le domaine, l’université, la province) et chaque thèse est unique, puisqu’elle vise l’étude de nouvelles questions dans le but de produire des résultats originaux et novateurs. Cependant, cette variété empêche les employeurs de cerner facilement les compétences des diplômés, ce qui se traduit par un déficit de reconnaissance et de valorisation du doctorat dans de nombreux milieux.

Nous donnons donc les clés aux candidats pour bien valoriser leur expérience et la mettre en lien avec la job visée. Un projet doctoral hyper spécifique a bien souvent peu d’intérêt pour un employeur, le plus important se situant ailleurs, au niveau des compétences techniques et scientifiques, des compétences transférables et des méthodologies de travail (ex : pensée analytique, veille, capacité de recherche, analyse et synthèse de l’information, remise en question, force de proposition et de conviction, gestion de projet…). En bref, les compétences sont la base pour établir un vocabulaire commun entre les PhDs et les recruteurs. La démystification du doctorat passe nécessairement par une traduction du diplôme en termes de compétences.

Devrait-on à ton avis reconnaître les années de doctorat comme une expérience professionnelle à part entière ?

Bien sûr. Nous parlons d’ailleurs de poursuite de carrière des titulaires de doctorat et non d’insertion professionnelle, comme le font encore trop d’acteurs, au Québec et au Canada. La perception et valorisation du doctorat commencent par le vocabulaire utilisé, cela a donc son importance.

Un projet doctoral ou un post-doctorat est une job à part entière. Le doctorant produit de la connaissance, il passe la majorité de son temps à faire de la recherche et souvent à enseigner.

Un doctorant est le plus souvent tout à fait autonome et gestionnaire de son projet, il doit fédérer des personnes autour de son projet pour se faire aider, parfois même dans son propre laboratoire. Il gère ses partenariats pour établir des collaborations avec d’autres laboratoires, chercheurs ou entreprises privées. Il cherche lui-même des financements auprès d’organismes boursiers publics, privés ou directement auprès de l’industrie et encadre souvent des étudiants au bac ou à la maîtrise.

Les doctorants reçoivent un salaire pour leur travail, qui est encadré par un contrat (et lorsque ce n’est pas le cas, nous pensons que ça devrait l’être!).

Pour une meilleure compréhension de l’activité de doctorat par les entreprises et par la société en général, pour un meilleur positionnement des titulaires de doctorat dans les compagnies, il est essentiel de considérer le doctorat comme une vraie expérience professionnelle de recherche !

Un mini reportage a également été diffusé lors du journal télévisuel à Radio Canada

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