
En plein atelier sur l'attraction de talent avec des OSBL (Organisme Sans But Lucratif) de la rive sud de Montréal, nous débattions sur les fameuses valeurs au travail aujourd’hui, chacun y allant de ses confessions.
Et tout à coup, au beau milieu des témoignages, une voix s’élève :
« Chez nous, on n’a pas de souci, on dit oui à tout ! »
Un blanc… J’ai souri… Enfin ! Ce fut comme un vent de fraicheur.
Ce commentaire a émané de la bouche de Marie-Pierre Hébert, Directrice générale de la Maison Soutien aux aidants.
Cet organisme communautaire d’une 50aine d’employé.e.s œuvre dans la région de la Haute-Yamaska et de la Pommeraie depuis 1993. Sa mission principale est de :
- Prévenir l’épuisement physique et psychologique relié au rôle des proches aidant.e.s dans une optique de santé globale
- Soutenir les proches aidant.e.s dans chacune des étapes de son rôle et défendre leurs intérêts et droits
- Promouvoir la création de services appropriés ou de toute autre activité servant l’intérêt des proches aidant.e.s.
Ils accompagnent les proches aidant.e.s à travers différents services de soutien et de répit. Inutile de vous dire que dans le contexte actuel notamment du vieillissement de la population, l’organisme est en pleine expansion.
J’adore travailler avec les organismes communautaires. Souvent peu de budgets et peu de ressources, ils regorgent de créativité, de souplesse et d’adaptation pour se démarquer dans la guerre des talents. Et Marie-Pierre Hébert et son équipe font partie de ceux qui démontrent que c’est possible de faire sa place, de recruter sans trop de difficulté, et d’avoir une rotation de personnel très bas.
Marie-Pierre a eu la gentillesse de m’accorder un instant pour répondre à quelques questions
Marie-Pierre, peux-tu m’expliquer ton contexte ?
En 2016, je complétais mon BAC avec un certificat en leadership de changement à l’université Laval. Cela faisait déjà 5 ans que j’étais à la direction d’un CPE et j’avais envie de nouveaux défis. J’ai eu l’offre de La Maison soutien aux aidants comme Directrice générale, avec le mandat de restructurer l’organisme.
En cours de réorganisation, j’ai rapidement compris qu’à Granby, nous avions de grands enjeux pour les proches aidants avec la population qui vieillit. J’ai travaillé pour développer un partenariat avec le CIUSSS de L’Estrie - CHUS avec qui nous avons maintenant des contrats de grandes envergures. Nous avions à l’époque à peine moins de 20 accompagnateurs et accompagnatrices. Mais pour les convaincre que nous étions le partenaire, il fallait leur démontrer que nous avions les ressources. J’avais confiance et je savais qu’on allait y arriver. Plus on donnait du service, plus on faisait rentrer de l’argent dans l’organisme, que je pouvais redistribuer en salaire ou en bien-être à nos employé.e.s.
J’ai alors embauché une personne aux RH, et on a ouvert tous les créneaux pour recruter : sur tous les réseaux sociaux, les radios, les journaux locaux... On y mettait de l’avant la relation 1-1 en maintien à domicile, qui est souvent un rêve pour les préposé.e.s aux bénéficiaires, les infirmières et infirmiers qui travaillent avec trop de patient.e.s. On a été très réactifs, on était prêt ! Dès que la personne posait sa candidature, on l’appelait. On a travaillé beaucoup sur le recrutement de savoir-être. Il faut savoir qu’en tant qu’organisme communautaire, on n’est absolument pas compétitif au niveau salarial. On est bien en dessous du marché. Le salaire n’a jamais été attractif dans nos emplois. On est allé les chercher en travaillant notre expérience candidat. À partir du moment où la personne venait en entrevue, que ce soit de groupe ou individuel, on a voulu créer un effet wow. On les accueille avec muffins, croissant, café, avec beaucoup de chaleur, avec un processus très structuré et organisé. Le processus d’entrevue et d’intégration est sur plusieurs rencontres. On leur dit toute la vérité, et on fait une promesse, que l’on tient. C’est une expérience émotionnelle. La bienveillance et les qualités du cœur sont primordiales chez nous.
Et grâce à tout ça, et à notre programme de référencement, nous recevons beaucoup de candidatures.
L’accueil est aussi un accompagnement. Tant que la nouvelle recrue n’est pas prête, on ne la laisse pas seule. On personnalise son intégration et le nombre de jumelages en fonction du niveau de confort. L’intégration est tout un parcours structuré et chaleureux chez nous.
Alors ce fameux « oui a tout", peux-tu me l’expliquer ?
Comment on peut faire du bien à nos employé.e.s ? Tout simplement en leur donnant un horaire de rêve. Je leur poste systématiquement la question: « Qu’aimerais-tu faire ? », « À quoi tu rêves ? ». On n’attend pas que l’employé.e nous en parle, on le leur demande.
Certaines personnes de l’équipe ont commencé à me dire qu’elles aimeraient faire du 25h ou du 4 jours. Toutes les personnes ont des demandes différentes. Donc je me suis mise à répondre « Alors parfait, pourquoi pas ? ». La réaction est souvent une réaction de surprise : « Ah bon, tu voudrais ? » Et bien sûr, si on le fait pour une personne, on le fait pour toutes !
Moi, je souhaite que tout le monde se sente bien. Je travaille fort sur notre Programme de bien-être:
- On a par exemple un accès dans un Spa de notre région. Tous les jours, un.e employé.e peut y aller avec une personne de son choix. C’est gratuit. Et avec son programme d’assurance, il y a même la possibilité de s’offrir un massage
- On a dix journées en congé santé (pas des congés maladie, des congés santé !). Ce n’est pas pour quand tu es malade, c’est en prévention. Chez nous on souhaite que tu prennes soin de toi.
- Nous avons un comité de reconnaissance. On souligne toutes les occasions des membres de l’organisme
- On met aussi beaucoup notre noble cause en avant. On est conscient que l’on donne du sens dans la vie des gens, et que l’on fait une grande différence.
Je pars du principe que plus on donne, plus on reçoit. Si on veut que nos employé.e.s aient de la gratitude et de la reconnaissance, il faut en donner. Si on souhaite qu’ils nous dépannent, nous aussi on doit les accommoder. Et je vois les bienfaits chez nos employé.e.s. C’est tellement nourrissant de voir l’impact que ça procure. Ça devient même addictif de voir leur bonheur au travail.
Marie-Pierre, où est ta limite ?
J’ai 2 équipes, une plus en administration et celle pour les services de répit.
Pour l’équipe de l’administration, ses membres peuvent faire un 4 jours et moins, c’est très flexible. En fait, je n’ai pas de limite à ce niveau. On trouve toujours des solutions.
Ma limite est au niveau du professionnalisme, dans l’application des valeurs, et bien sûr dans le respect de l’équité des conditions de travail. Mais pour les horaires, il n’y a pas de limite, pourvu que nous puissions effectuer notre travail de façon conjointe.
Pour l’équipe de répit, il a bien évidemment un minimum d’investissement. Mais j’ai des employé.e.s qui peuvent faire de 12h à 40 heures… Ces personnes donnent les disponibilités qu’elles veulent en fonction de leurs besoins financiers, de leurs envies, leurs réalités familiales et de leur horaire personnel. Il faut seulement que le nombre d’heures totales dont nous avons besoin au niveau des services de répit soit maintenu.
En revanche, pour permettre d’être équitable, on verse une prime de disponibilité. Ceux et celles qui sont disponibles à faire plus de 25h, à faire du remplacement, à travailler de soir et une fin de semaine sur deux ont une prime horaire. C’est dans un sentiment de justice que nous avons décidé de la mettre en place.
Et puis, nous sommes très proactifs, de toutes les façons et partout. Dès qu’il se passe de quoi, que ce soit un commentaire de client.e ou comportement inapproprié, on agit. On n’attend pas, on ne craint pas d’intervenir, car tout est fait dans les bonnes pratiques, dans l’écoute et la bienveillance pour tous.
Ça parait facile comme ça, mais tu as dû avoir quelques réticences et commentaires des personnes les plus assidues et expérimentées dans ton équipe ? Comment as-tu géré ça ?
La prime de disponibilité a aidé.
C’est toute une complexité chez nous et il a fallu aussi sensibiliser l’équipe. On a eu quelques commentaires au départ de se dire que c’était moins facile avec ceux et celles qui changeaient leurs heures. Mais à chaque fois, ma question est: « Et ça change quoi finalement ? ». L’objectif, c’est que notre clientèle soient contente parce que notre équipe d’employé.e.s est contente de venir travailler. On les reconnait comme des héros et des héroïnes, on est fier d’eux. Notre équipe effectue un travail extraordinaire chez les proches aidant.es et leurs proches. Elle change leur quotidien.
Comment tu les évalues en entrevue?
On débute le processus avec des entrevues de groupe. C’est très convivial, tout le monde se présente, on veut créer des liens. Puis on fait des mises en situation pour qu’on réfléchisse aussi ensemble aux situations vécues au quotidien. Et on en profite pour leur expliquer comment on doit agir dans ces situations-là. C’est donc déjà une mini formation. On mise beaucoup sur le savoir-être.
As-tu encore besoin d’afficher ?
Oui et Non. On n’est pas stressé d’avoir quelqu’un qui rentre. Si on a plus d’heures de nos employé.e.s, on peut desservir plus de client.e.s. Et si on a moins de dispo, on s’ajuste. On donne nos services en fonction de nos possibilités, et non l’inverse. On est donc toujours dans la fluidité et l’abondance. On a tellement peu de départs, nos équipes sont stables.
Et toi Marie-Pierre, quels sont tes rêves à toi ?
Mon rêve en tant que directrice, c’est d’avoir des maisons soutien aux aidants satellites. Et peut-être d’aider aussi d’autres régions à en avoir. On va avoir de plus en plus de besoins pour les proches aidant.e.s avec la population qui vieillit. J’aimerais qu’il y en ait des services pour eux partout et que tous les proches aidants puissent en bénéficier. On développe ce créneau-là.
Pour mon équipe, mon rêve serait d’investir au niveau immobilier comme avoir un chalet. Cela pourrait être comme une maison de répit pour notre clientèle proche aidante pendant que nos employé.e.s sont à leur domicile et s’occupent de leur proche. Bien souvent ils n’ont pas de place où aller pour se reposer. Cela pourrait aussi servir pour nos réunions d’employé.e.s. On pourrait également le leur prêter quand il serait libre pour qu’ils puissent y aller avec leur famille. J’aimerais tellement pouvoir offrir ça à nos équipes les fins de semaine.
Si vous souhaitez en savoir plus davantage et mieux comprendre le rôle de la proche aidance, Marie-Pierre et son équipe ont lancé une série de balados appelée Lumière sur la proche aidance.
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